Impact sur l’entomofaune des pièges à bière ou à jus de cirier dans la lutte contre le frelon asiatique

Impact sur l’entomofaune des pièges à bière ou à jus de cirier
dans la lutte contre le frelon asiatique

Quentin Rome¹, Frank Muller¹, Thomas Théry¹, Judith Andrivot¹, Sandy Haubois¹, Etienne Rosenstiehl², Claire Villemant¹
¹Muséum National d’Histoire Naturelle, UMR7205, CP50, 45 rue Buffon, 75005 Paris, France
²Association Bee my Friend, 11 rue Anatole de la Forge, 75017 Paris, France
Contact : Quentin Rome, vespa@mnhn.fr

Résumé
:
Une expérimentation de piégeage de Vespa velutina a été réalisée. Elle a permis d’évaluer l’impact sur l’entomofaune des appâts bière et jus de cirier et de définir des recommandations de lutte contre cette espèce.
Mots clés : Vespa velutina, frelon asiatique, piège, impact sur la biodiversité.

Introduction
Vespa velutina est une menace pour les abeilles et l’apiculture mais aussi pour la biodiversité, notamment celle d’autres insectes pollinisateurs. Cette menace intervient de façon directe, du fait de l’énorme pression de prédation exercée par le frelon sur les insectes et les araignées, mais aussi de façon indirecte par l’impact négatif sur l’entomofaune des campagnes incontrôlées de piégeage.
La production d’un piège commercial spécifique permettant de diminuer la pression du frelon sur les ruchers dépend de la sélection de molécules attractives spécifiques (travaux en cours de l’INRA de Bordeaux- projet France AgriMer). En attendant, il était intéressant de pouvoir proposer aux apiculteurs une solution alternative, simple, de protection de ruchers, qui soit aussi respectueuse de l’environnement.
Un protocole de piégeage a été mis en place pour comparer l’efficacité et la spécificité relative de pièges pourvus de deux type d’appâts : des pièges à bière traditionnels et des pièges à jus de cirier.

Matériels et méthodes
L’étude a été réalisée d’avril à mi-novembre 2010 sur 20 sites expérimentaux (13 en zone envahie depuis plus d’un an, 2 en zone envahie depuis moins d’un an et 5 hors de la zone d’invasion). Leur répartition est relativement étendue au sein de chaque zone.
Sur chaque site nous avons utilisé des pièges identiques type bouteille 1.5 L à extrémité retournée en entonnoir afin de conserver tous les insectes capturés.   Deux pièges (un bière, un jus de cirier) ont été placés devant un rucher de 4 ruches et deux autres placés à plus de 70 m de ces ruches. Ils ont été disposés à 50 cm du sol, à 2-3m l’un de l’autre et remplis de 250 ml d’appât. Chaque semaine, le contenu des pièges a été relevé, le piège a été nettoyé et l’appât renouvelé.
L’appât bière a été réalisé à partir de 200ml de bière brune Pelforth®, de 25ml de sirop de fraises Teisseire® et 25ml de Picon®. Le jus de cirier est le liquide obtenu lors de la fusion d’un cadre de corps de ruche dans 1.5L d’eau ; additionné de 20g de miel, il est mis à fermenter au moins 3 jours.

Résultats
Le tri de 1700 pièges (soit un total de 123936 insectes, dont 5625 V.velutina) a montré que, toutes zones confondues, 0.8 abeilles/piège/semaine/ ont été capturées en moyenne avec la bière contre 1.3 abeilles/piège/semaine avec le jus de cirier. Les deux appâts attirent donc une grande diversité d’insectes, et surtout des Diptères. Un piège à bière peut capturer 57.3 mouches diverses par semaine contre 42.6 pour le piège à jus de cirier ; il capture également 3 fois plus de frelons d’Europe. En moyenne, un piège a capturé environ 2 V.velutina par semaine à 70 m du rucher et 7 fois plus à proximité.
Lorsqu’on s’intéresse uniquement au piégeage réalisé dans les ruchers attaqués et durant les semaines 30 à 45, on constate que la sélectivité de l’appât jus de cirier envers V.velutina est bien meilleure, avec 19% de frelons capturés contre 11% seulement pour les pièges à bière. La quantité de V.velutina capturés est la même (un peu plus de 15 en moyenne) alors que les individus non cibles sont moitié moins nombreux dans les pièges au jus de cirier que dans les pièges à bière. Dans 4 ruchers où les attaques du frelon étaient les plus marquées (plus de 10 frelons devant les ruches), V. velutina représente 30 à 40 % des captures des pièges situés à proximité des ruchers alors qu’il ne dépasse pas 12% des captures dans les pièges éloignés.

Discussion
Le jus de cirier attire les insectes non cibles ; ce n’est donc pas l’appât idéal mais son impact sur l’entomofaune locale demeure plus faible que celui de la bière sucrée. Seuls les pièges placés à proximité des ruchers capturent un grand nombre de V. velutina.
Le jus de cirier n’étant pas suffisamment sélectif, il est préférable de ne pas piéger trop tôt en saison. En effet, le piégeage des fondatrices au printemps n’a que peu d’impact sur le nombre de colonies en été (Spradbery, 1973) et la capture d’un grand nombre d’insectes non cibles pourrait, en perturbant l’équilibre environnemental, risquer de favoriser la prolifération de V.velutina.
Le piégeage intensif des individus, y compris des jeunes reines au printemps, n’est pas une bonne méthode pour limiter les populations de frelons et d’autres solutions doivent être envisagées pour tenter de les contrôler (Spradbery, 1973 ; Barlow et al. ; Toft et Harris, 2004).

Conclusion
Le jus de cirier n’étant pas un appât sélectif, il ne faut pas piéger tôt en saison. De plus, le piégeage ne doit pas être utilisé en lutte préventive, mais uniquement pour diminuer la pression de prédation sur les ruchers fortement attaqués entre fin juillet et mi-novembre. Les pièges doivent être placés à proximité des ruches, là où ils capturent un maximum de frelons. Le développement par l’INRA et ses collaborateurs de méthodes de piégeage réellement spécifiques, notamment à l’aide de phéromones, demeure la piste privilégiée.

Remerciements
A nos collaborateurs et toutes les personnes qui ont activement participé au test de piégeage : Michel Tardieu (FNOSAD, 15), Valérie Breton (FNOSAD, 33), Jean-François Odoux et Clovis Toullot (INRA, Magneraud), Olivier Bonnard (INRA, Bordeaux), Matthieu Holthof, Dominique Leroux, Yvon Freland (GDSA 17), Jean-Claude Almeras (GDSA 26), André Lavignotte (GDSA 64), Jean-Luc Rzadkiewa (CETA, Toulouse), Didier Billon et Oliver Lambert (ONIRIS, 44), Julien Gee (Mairie de Levallois), Camille Musseau et l’Association Veracruz (Toulouse, 31), et les apiculteurs Jean-Marie Armand (Sainte-Sabine) Bernard Devaure (Chanterac, 24), Gilles Renauld (Mussidan, 24), Norbert Boulord et Gilles Deloustal (Saint-Blaise-du Buis, 38), Michel Setoain (Itxassou, 64), Marcel Texier (Pau, 64), Christain Dalla Costa et Elisabeth Coutou (Montauban,81).

Références bibliographiques
-Barlow N.D., Beggs J.R., Barron M.C., 2002. Dynamics of commom wasps in New Zealand beech forests : a model with density dependence an weather. Journal of Animal Ecology, 71, 663-671